La dernière fois que je suis venue au marché, après avoir combattu la Voix-dans-ma-tête qui me disait « Reste au lit ... », Pierre et moi avons discuté de tout et de rien, comme d'habitude mais plus longtemps que d'habitude aussi. Je parlais peu, moi, je l'écoutais. Il a une voix apaisante et vivifiante à la fois. Rafraîchissante et douce. Il me parlait surtout de fruits, de légumes, de récoltes et de son père.

« Il a vécu toute sa vie ici, à faire pousser ses patates, et ça le rend heureux. Mais c'est dur, c'est pénible, ça demande beaucoup trop d'efforts pour ce que ça rapporte. Il a engagé des gens, agrandi ses cultures, mais ça ne change pas grand chose. Il n'est pas un homme d'affaire. C'est un paysan, comme son père et son grand-père, même si bien sûr ça a vachement changé. C'est moins poétique maintenant. Et moins physique. Faut surtout savoir gérer une exploitation, ce genre de choses. Pourtant il ne voulait pas que je lui succède. Il voulait que je fasse des longues études. C'est ce que j'ai fait. Mais je reviens quand-même chaque été. L'été je passe mon temps à lire et à faire pousser des trucs.

- Vous aimez lire ?

- Oui. Mais je n'aime pas parler lecture. »

Il me regarde l'air un peu désolé, s'apprêtant sûrement à s'excuser pour sa brusquerie. Mais elle m'enchante, alors je le regarde droit dans les yeux et je lui dis :

« C'est parce que c'est votre secret ? »

Il rit, se passe la main – toujours pleine de terre – sur la nuque et acquiesce. Il doit sentir bon la terre ; sûrement la sueur aussi. Je me demande si j'aimerais l'odeur de sa sueur.

« Et vous, quel est votre secret ?

- Moi je suis complètement folle. Frappadingue.

- Oh, mais vous êtes une artiste, c'est normal ! »

On est tous les deux derrière la table où sont étalés ses fruits et légumes, il est appuyé contre sa camionnette et je suis assise face à lui sur une chaise pliante. À cette heure-ci le marché est presque désert, et il va bientôt partir. Nous sommes de temps en temps interrompus par une ménagère ou un petit vieux. Il me dit alors invariablement « Excusez-moi » et va servir le client.

 

« Excusez-moi », je lui souris et j'attends qu'il ait fini, regardant aux alentours. Je prends mon carnet à dessin sans réfléchir, comme un vieille habitude qui ne s'oublie pas ! Je n'en reviens pas et ça me rend soudain joyeuse.

Son père fume une cigarette à quelques pas. Je le dessine, non, j'essaie de le dessiner, mais à peine deux traits sur la feuille et je vois bien que je n'y arrive pas. Pierre qui revient vers moi, vite, très vite je ferme mon carnet, un peu en panique. Il fait semblant de ne rien remarquer.

 

« Je ne vous ai même pas demandé ce que vous faisiez comme longues études. » je lui dis.

Dimanche 2 juin 2013 à 11:52

Par maud96 le Dimanche 2 juin 2013 à 18:35
Par wgtc le Lundi 3 juin 2013 à 15:41
c'est vrai, il fait quoi comme études?
Par wgtc le Mardi 4 juin 2013 à 2:01
t'as sans doute raison, faut que j'arrête de me poser des questions.
 

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