Voilà une semaine que j'essayais de raconter cela, mais rien du tout, que des mots creux, c'est rageant les mots creux, mais ce soir un déclic, ça coule ça coule tellement qu'il faut que mon écriture aille aussi vite que la voix-dans-ma-tête, alors je rouvre mon ordinateur, et j'écris ça. Ce genre de choses peut-être que je devrais le garder rien que pour moi, dans mon carnet à lignes, il y en a des conneries dans ce carnet à lignes, mais je ne veux pas, je veux arrêter de mentir, et dans mon carnet à lignes je mens, parce que je ne veux pas voir la Marion que je suis, alors je n'écris pas ce que je ne veux pas lire, je veux croire que j'ai une dignité une bonté un je-ne-sais-quoi qui rattrape tout le reste, mon ignominie et la poussière et les cheveux sur le sol de ma chambre. Comme si.
Alors voilà :
Ce soir j'ai enfin rangé ma valise en haut de l'armoire. Ça faisait dix jours qu'elle traînait dans le passage, remplie de vêtements en boules, farfouillis de tenues de soirées – je n'avais quasiment emporté que ça en week-end, et j'en ai ramené plus encore de chez mes parents. Je trébuchais sur la valise mais rien n'avait pu me décider à la vider, à la hisser en haut de l'armoire, à ranger mes mini-jupes, à laver les sous-vêtements noirs. J'aurais voulu être encore à Paris, rester là dans la nuit à danser avec cet inconnu un peu flou maintenant ; je ne me rappelle plus son odeur, mais toute la nuit j'avais respiré son cou : il sentait si bon que c'en était indécent, j'aurais voulu me noyer dans son odeur épicée mais non je l'ai égarée entre deux fêtes ; en me couchant au petit matin tout mon corps regrettait de n'avoir pas été rassasié par celui-là, mais en me réveillant juste avant onze heures un rêve irritant se précisait, Lucille me courait après dans toute la ville pour me traiter de salope, pourquoi t'as trompé Martin, comment t'as pu, salope salope salope, alors je suis contente de l'avoir perdu de vue dans le métro ce blond-là, je n'ai même pas eu le temps de l'embrasser, juste de me frotter contre lui et de sentir sa jambe entre les miennes alors qu'on se balançait sur de la mauvaise musique, je n'ai pas trompé j'ai respecté les règles
pas étonnant que je n'ai pas pu le regarder en face Martin toute la semaine
mais j'ai rangé ma valise,
peut-être même que j'irai voir Martin demain et que je me forcerai à l'embrasser, alors peut-être qu'on fera l'amour et peut-être même que ce sera bien, un dernier feu avant la fin, un dernier pantomime d'amour avant la rupture.