Sous le verre du hall de gare étouffant, cinq ou six vieilles italiennes jacassent à côté de moi. Je repose mon livre, car leurs mots inconnus s'incrustent dans les phrases que je lis. Je les observe, répondant à leur brouhaha par une indiscrétion qui ne se dissimule pas, je les observe et je note avec attention – une certaine affection pour ces bruyantes étrangères. Genoux fripés et cheveux jaunes, pieds racornis dans des sandales en cuir dur, vêtements impeccables. Elles ont la mise bien soignée, et dégagent une joie d'être encore bien, bien vaillantes, tellement plus vivantes que tous ces petits jeunes penchés sur leurs écrans.
Elles sont denses ces dames et comme elles s'étalent avec puissance autour de moi, je pense à mes petits vieux à moi, qui s'effacent petit à petit. Mon grand-père clignote et semble se grignoter lui-même de l'intérieur, quand je l'appelle c'est les mêmes mots qui reviennent depuis des années, il s'inquiète de ma santé, je ressens son amour immense et sans conditions, je lui envoie un peu du mien, immense et sans conditions tout pareil, et je raccroche avec une impression de fait accompli. Et les deux autres, épuisés de soutenir un fils qui s'égare, épuisés de courir à droite à gauche et de promener la famille, grand-père et grand-mère d'enfants récalcitrants et incompréhensibles, patriarche fatigué et bonne-maman conciliante, voilà des années que nos relations sont creuses même si tendres, nous n'avons plus rien en commun que ces dîners de famille joyeux et arrosés de bon vin.
Je retiens de toute mes forces dans ma poitrine creuse les bons souvenirs, car tout est redite, mes visites reprennent instant pour instant les étés passés, je les serre fort dans mes bras et j'embrasse quatre fois les joues douces de ma grand-mère et les tempes rêches de mes grand-pères, car il n'y a plus que le corps qui compte et qui comble le vide. Chaleur de la peau, beauté du sourire, et réconfort des petits rituels. Le chocolat devant la télé … Les ronflements … Les vieux qui s'activent quand je me lève tard, pas bien stable sur mes pieds et les yeux encore plein de sommeil.
« Paris Est, voie 2 » Je me lève. Une vieille italienne vient prendre ma place sur le fauteuil gris.