Je me fais un concombre dans mon donjon. La lumière grise passe à peine sous la persienne, je suis assise dans un silence à peine teinté de glouglou de tuyaux et de voix lointaines. Je suis rentrée chez moi et c'est la première fois qu'ici c'est chez moi. Toute surprise au coin de la rue des Pucelles, mon corps a retrouvé le rythme de la ville, a reconnu les maisons que mes yeux ne regardent plus qu'à peine. Toute surprise d'être ici chez moi pour la première fois, alors que je suis seule, alors que je n'ai personne à voir.
Je voudrais bien faire mieux que ça, mais voilà plusieurs jours que je n'ai rien à dire. Chaque soir je m'installe et j'essaie d'écrire mais ça ne marche pas. Je voudrais raconter des histoires mais de qui raconter l'histoire ? Pourtant j'ai des dizaines de personnages dans le ciboulot et je les aime d'amour dis donc, mais je m'installe et j'essaie de les dessiner et ça ne marche pas.
Et dans mon appartement ça sent l'essence d'aspic pour rien, parce que les trois tableaux que j'avais dans la tête et dans les yeux ne passent pas dans mes mains, ils restent inachevés (à vrai dire : à peine entamés) au milieu de mes tubes de peinture à l'huile.
Mercredi 3 juillet 2013 à 20:33
Le 25 juin j'ai couché avec Cecil. Il y a des dates qu'il faut noter. Voilà quatre jours que j'essaie de raconter. J'ai écrit « le 25 juin j'ai couché avec Cecil » une dizaine de fois. Toujours la première phrase, mais la suite ne vient pas. Deux récits de cet après-midi existent déjà pourtant : celui, mouvant, modelé chaque instant dans ma tête, parsemé d'images, de sensations. Le deuxième récit est dans mon journal. Il est linéaire, sans froufrous, je raconte tout, pour me souvenir. Parce que je ne voudrais pas que cet après-midi se perdent parmi les autres corps que j'ai touché. Je relis ce texte et je rougis, devant les mots que j'utilise, des mots crus, parce qu'il faut nommer les choses telles qu'elles sont parfois. Alors j'écris gode, j'écris lèche, j'écris langue et j'écris clitoris, même si ce sont des mots qui ne me ressemblent pas. Certains je les écrivais pour la première fois. Ecrire un mot pour la première fois … L'impression de se tenir au bord de la falaise !
Mais ce récit, comme celui que j'écris heure après heure dans ma tête, est privé.
Cela dit : j'étais allongée là et je me laissais faire, ça me faisait bizarre de ne pas rendre le plaisir reçu. C'était inhabituel qu'on s'occupe de moi et qu'on me caresse sans rien attendre en retour. J'ai un peu touché sa peau mais ça n'est pas ce qu'il attendait je crois alors j'ai vite arrêté, je me suis contentée de me concentrer sur mon propre corps.
C'était doux et terriblement intime pour un service entre potes.
Voilà deux jours que j'y repense par intermittence, et avec les images revient le désir. Quand il m'appelle je ne lui en parle pas, c'était seulement pour une fois, c'était ça le marché. Il n'a jamais été concrétisé par des mots, pourtant ils ont été gravé quelque part à l'instant où il a dit : on pourrait aller chez moi et coucher ensemble.
Nous étions assis sur la pelouse d'un parc près de la Gare de l'Est à parler de nous. Je me débarrassais de toute la peine accumulée, je lui parlais de ma frustration et lui me parlait de sa famille et de sa solitude. Cecil c'est un garçon dans un corps de fille, complexe et indescriptible, tellement différent de tous ceux que j'avais croisé jusque là. Il a enlevé un e à son prénom, et je ne l'ai jamais connu fille. C'est un ami de mon ex-copine, et la première fois que je l'ai vu j'ai cru que c'était son petit frère. D'une certaine manière cette première impression perdure, j'ai envie d'en prendre soin, l'affection prend le pas sur l'agacement passager : il est geignard parfois.
Je ne me souviens plus bien de nos phrases et des histoires échangées, mais tout à coup Cecil m'a dit : on pourrait aller chez moi et coucher ensemble. Jamais je n'aurais imaginé qu'il me dise une telle chose cet après-midi-là, mais quand il a dit ces mots j'ai senti une chaleur et une envie grandir dans mon sexe, quelque chose que je n'avais jamais ressenti à son encontre et qu'il m'aurait paru absurde de laisser s'échapper. C'est pour ça que j'ai dit oui. Sans plus réfléchir à ce que ça ferait à notre amitié, j'ai dit oui. À vrai dire j'avais accepté dans ma tête bien avant de lui faire savoir, pour m'habituer à l'idée avant de plus m'y avancer. Il parlait à toute vitesse à côté de moi pour combler mon silence, et j'étais rassurée de le savoir gêné, lui aussi.
C'était à la fois anodin – deux corps qui se croisent – et complètement surréaliste. Je n'avais jamais imaginé le moment avant de le vivre ; pour moi qui fantasme jour et nuit, qui invente des histoires sans relâche, qui envisage chaque possibilité avant de me jeter à l'eau, c'était très nouveau.
Je n'avais jamais couché avec quelqu'un sans lui faire l'amour. Je ne l'ai même pas vu nu, Cecil. Un service entre potes. J'en reviens pas.
Je dois avouer que je ne sais pas bien quoi penser de ce texte. L'intérêt littéraire me paraît limité, et le texte dans son entier me semble bancal. C'était vraiment difficile d'écrire ça ! Donc je voudrais bien des avis éclairés. Merci !
Et, aucun rapport, mais allez jeter un coup d'oeil ici : http://legrandcombat.blogspot.fr/ ça vaut le détour ; c'est une bande-dessinée, à lire sur la page de haut en bas. C'est éblouissant.
Samedi 29 juin 2013 à 11:23
Hier dans une librairie du 11ème je suis tombée sur un album de mon enfance et je l'ai acheté. Il était en version poche, il ne m'a pas coûté grand chose et puis tous les souvenirs que j'ai récupérés en le feuilletant valaient bien ces six euros cinquante. Je me suis rappelée la moquette rêche, la lumière du nord depuis le vasistas jusqu'à mes genoux, la chaise en rotin, le tas d'albums illustrés que ma grand-mère achetait pour moi. Tous ces livres se sont perdus avec sa mort et je me demande combien de souvenirs ont disparus avec.
J'ai relu l'album dans le RER. J'adorais cette histoire, je l'ai lue et relue, mais elle ne ressemble pas à ce que je continuais à me raconter les années passant. Les dessins ne me plaisent plus vraiment, l'histoire n'est plus si belle. La souris ne se fait des amis qu'à partir du moment où elle perd sa singularité - elle voit le monde à l'envers - et devient comme tout le monde ; je suis tellement déçue. Je repense à cette petite fille qui lisait cette histoire sans prendre de recul et qui souhaitait elle aussi devenir comme tout le monde. J'aimerais retourner lui arracher l'album des mains et lui donner ceux que j'aime aujourd'hui, qui disent : prend des risques, sois forte, n'aie pas peur du monstre dans le placard, parce que tout ce qu'il veut c'est un câlin.
Pourtant, sur la couverture de cet album il y a le visage de ma grand-mère, alors je le garde, je le place dans ma bibliothèque.
Jeudi 27 juin 2013 à 15:08
Il y a quelques jours ma mère m'a dit quelque chose à propos de mon père. Je crois que c'était assez banal, mais très, très beau. La promesse d'un avenir radieux pour moi aussi. D'un mariage imparfait, mais long et heureux.
Nous étions assises à la table de la cuisine, seules toutes les deux, et ma mère a parlé de mon père. C'est rare. Nous considérons d'habitude que ça ne me regarde pas. Mais ce jour-là : ton père met de l'eau partout quand il fait la vaisselle. « Quoi qu'il arrive, il est incapable de mettre un torchon près de l'évier. C'est pas faute de lui avoir répété ... » soupire ma mère. Alors il traverse la cuisine les mains dégoulinantes sur le carrelage, et marche dans l'eau, et parsème le sol de la cuisine de taches noirâtres.
On rigole un peu toutes les deux, et puis ma mère a un regard spécial que je lui vois si peu, et me dit : « Mais bon on finit par laisser couler … Tous ces détails exaspérants, après trente ans de mariage, franchement, quel poids ils ont ? »
J'avais oublié que mes parents s'aimaient.
Jeudi 27 juin 2013 à 12:44
Quand l'orage éclate, elle est à mi-chemin ; elle marche sur la chaussée, un sac de livres à la main ; aux premiers grondements, ses pieds dans ses ballerines trop grandes se recroquevillent et son corps se tend, prêt à repousser les gouttes de pluies. Elle soulève un peu sa jupe longue pour pouvoir marcher plus vite : peur du rhume et de la foudre. Elle compte les gouttes qui tombent sur sa peau – ronds glacés. Immobile, elle se détend muscle après muscle. Elle s'imbibe d'eau jusqu'à ne plus la craindre, jusqu'à tourner son visage vers le ciel. Le monde entier appuie sur son corps – l'air moite, les torrents d'eau, les arbres qui tonnent, les éclairs sur ses paupières. Le parapluie est inutile face à la violence de l'orage. Ses chaussures s'échappent et glissent dans le caniveau. Elle referme son parapluie et s'accroupit dans l'eau, reprend ses ballerines ; dans sa tête il n'y a plus rien, plus la douleur de la rupture, plus la frustration de ne pas être entendue, plus la sensation de ne pas avancer (mais qu'est-ce que cela peut bien signifier, avancer?), simplement cette constatation : il pleut et je suis sous la pluie. Il pleut et je suis la pluie. Entre cette rue et sa maison il y a la forêt. La jeune fille se sent bien et à l'abri, nue sous l'orage. Pour une fois elle n'est nulle part ailleurs que dans son corps, les pieds nus dans l'eau avec les cailloux qui piquent sous les pieds, là où la peau est tendre ; pour une fois elle ne se sent pas étrangère à la terre, là plantée dans la boue. Ça change des pavés durs et des passants muets aux visages de pierre.
C'est la tête droite qu'elle s'enfonce sur le chemin de béton défoncé, sur le chemin qui devient terre et mousse, sous les arbres déchaînés. Ses chaussures à la main elle sourit. Elle savoure le danger, elle attend le foudroiement avec du désir dans le ventre, sa jupe lourde glisse de ses hanches, ses livres sont bien à l'abri dans le sac plastique, elle les serre fort dans ses bras contre sa poitrine, elle ruisselle et ses oreilles sont saturées du bruits des éléments qui s'entrechoquent, tant et si bien que tout s'arrête d'un coup, un immense silence qui s'arrête à son corps, qui n'existe que pour elle.
Figée sous un coin de forêt.
On pourrait croire qu'elle est folle avec ses cheveux emmêlés noircis par la pluie et ses pieds nus dans l'humus et les orties, mais quoi que les gens disent je ne suis pas folle, seulement triste.
Samedi 22 juin 2013 à 19:04