Aujourd'hui c'est un jour sans. D'habitude, les jours sans, je les passe dans mon lit, à m'abrutir avec ce que je peux trouver. Je remplis ma tête de tout ce que je peux trouver, histoires des autres, histoires fictives, écrans. Ça ne remplace pas les mauvaises pensées, ça les pousse juste un peu plus au fond. Ça prend le mal dans la poitrine et dans le ventre et ça l'engourdit. Puissance dix mille à la sortie, cela dit.
Aujourd'hui je décide d'écrire à propos de mon jour sans. Parce qu'aujourd'hui je n'ai pas passé trop de temps dans mon lit. Je n'ai mis qu'une heure et demie à me lever, mais j'avais mis le réveil une demie-heure plus tôt, alors je n'ai pris qu'une heure de retard. J'ai mangé, je ne me suis pas douchée, mais j'ai travaillé, deux heures. J'ai étendu la lessive, j'ai réchauffé un reste, je me suis douchée, je suis sortie dans le froid et j'ai pris le tram jusqu'au centre. J'ai fait mes courses de noël et je suis rentrée vers 16h. J'ai parlé à Julie sur facebook.
C'est un jour sans qui fait semblant d'être un jour avec. Mais à présent qu'il ne me reste rien d'obligatoire à faire aujourd'hui (si ce n'est manger une troisième fois et ranger les piles de vêtement qui attendent sur mon lit) je suis perdue et je n'ai plus le courage de quoi que ce soit. Et j'ai un peu froid et j'ai peur de me sentir tout le temps comme ça. De ne plus avoir que des jours sans qui se comportent comme des jours sans et des jours sans qui font semblant d'être des jours avec. J'attends que ça passe et c'est une horrible sensation. J'attends que ça se termine et c'est encore pire.
Demain j'embarque pour Paris et dix jours empilée sur des gens. Dix jours à sourire et à faire la conversation et à cacher que j'ai envie de mourir. Ça aussi ça me fait peur et ça fait grandir la douleur dans le milieu. Et ça me fait pleurer mais ce sont les mêmes larmes qu'à Paris : les larmes qui font mal quand elles devraient soulager, les sanglots qui déchirent où ils passent. Je suis sûre que quelque part sur mon ordinateur ou sur internet derrière un pseudonyme ou un autre il existe un texte qui date de quatre ou cinq ou six ans et qui explique que ça va, je n'ai plus de « trous noirs » et que j'en suis heureuse. Que des fois ça ne va pas, mais que c'est gérable et que ça doit être ça d'aller bien. Je ne sais pas si c'est le temps qui a passé et affadi l'impression, ou si c'est vrai, mais les trous noirs sont de retour et ils sont dix fois, quinze fois pires que ce dont je me souviens. Et il faudra que je change la terminologie, parce que trou noir ça voulait dire passager, ça voulait dire engloutissement de quelques jours et désespoir intense, et puis je m'en remettais et je fonctionnais bien jusqu'au prochain trou noir, alors qu'aujourd'hui.
On verra plus tard pour la terminologie.