J'ai pas beaucoup dormi. J'ai parcouru mon blog, tranquilou, dans le noir. Ce matin, un mal de tête lancinant marque la pulsation et je suis dans un drôle d'état. J'ai redécouvert la succession des noms des corps que j'ai touchés, des personnes que j'ai un peu aimées, ou presque, ou terriblement : Céline, Damien, Martin, Cecil (qui est devenu Léo depuis), Jules.
Céline : je ne lui adresse plus la parole. J'ai décidé que tant qu'elle ne m'accorderait pas de son temps, je ne lui donnerai pas du mien. Et avec les années, ça devient de plus en plus facile de s'en moquer.
Damien : rien n'a changé. Je l'aime toujours, il est loin à l'autre bout du monde, on ne se croise plus que par internet, de temps en temps, aux anniversaires et quand je vois une photo de lui. Il est devenu beau à en crever. Je souris toujours un peu quand je pense à lui.
Martin : nous sommes amis, pour de vrai. Pendant quelques mois, nous nous sommes envoyés des lettres une fois tous les deux jours. Après nous nous étions tellement rapprochés que c'était plus la peine. On s'appelle de temps en temps. Il est loin lui aussi. Dans un petit village accroché sur une falaise. Hier, il m'a écrit : "tu m'es devenue précieuse". Si je prononce les mots en chuchotant je les sens presque me réchauffer les doigts de pieds. Je l'aime toujours, lui aussi, et même plus que quand nous nous disions Je t'aime dans mon lit.
Cecil, qui est devenu Léo depuis : il est tout cassé et je suis désemparé face à cela. Mais de temps en temps j'essaie d'être là et de lui envoyer un ou deux sourire. On ne parle plus de sexe c'est devenu bizarre. Tant mieux.
Jules.
Jules j'en parlerai plus tard.
Aujourd'hui il n'y a plus de Prénom dans ma vie. Il y a plein d'amis, il y a plein de boulot, de trucs de machins, mais pas de peau sous mes mains ni de souffle dans ma bouche.
Vendredi 25 novembre 2016 à 10:31
Bon merde c'est mort par ici. Je croyais que j'en avais fini avec ce blog, mais soudain ce soir alors que j'écrivais dans mon carnet et que j'étais un peu paumée j'ai pensé : scrivener. Ça fait plus de six mois que je n'ai pas pensé "scrivener", pourtant depuis le dernier article il y a plus d'un an j'ai écrit pas mal j'ai même écrit une nouvelle qui m'a plu, je l'ai illustrée, imprimée, reliée, et puis il n'y a qu'une personne qui l'a lue (c'est dommage entre nous je l'aimais vraiment bien, pour de vrai. Ça s'appelait Pas convenable, et c'était sur une mamie amoureuse.)
Mais voilà cette année c'est ma dernière année. Cela sonne tragique, en fait c'est surtout que je termine mes études, après va falloir s'y mettre. Même si je m'y suis déjà mise ; pour rigoler, je vais faire une petite liste : deux court métrages d'animation, ah non tiens trois ! trois et demi parce qu'il y en a un que j'ai jamais fini, un documentaire vidéo, un livre illustré, un petit livre pour apprendre à écrire bien français, deux ou trois applications Ipad ; deux jeux de société ; plusieurs centaines d'illustrations, de peintures, de croquis, de carnets de croquis. Mais ça ne compte pas vraiment parce que maintenant c'est chez mes parents, dans des cartons. Donc je me prépare à faire des choses qui "comptent", c'est-à-dire qui rapportent de l'argent.
Et là, je bloque. J'ai un projet tout bien balisé, tout prévu, j'ai commencé et je suis sur la bonne route. En revanche, mon deuxième projet, c'est pas du tout sur la bonne route. Mais je crois que je veux écrire quelque chose. Et l'entrelacer de dessins et de peinture. Et l'imprimer, et le relier, et le donner à lire et regarder.
C'est pour ça que j'ai encore besoin de scrivener. Y a quelqu'un là-dedans ?
Mais voilà cette année c'est ma dernière année. Cela sonne tragique, en fait c'est surtout que je termine mes études, après va falloir s'y mettre. Même si je m'y suis déjà mise ; pour rigoler, je vais faire une petite liste : deux court métrages d'animation, ah non tiens trois ! trois et demi parce qu'il y en a un que j'ai jamais fini, un documentaire vidéo, un livre illustré, un petit livre pour apprendre à écrire bien français, deux ou trois applications Ipad ; deux jeux de société ; plusieurs centaines d'illustrations, de peintures, de croquis, de carnets de croquis. Mais ça ne compte pas vraiment parce que maintenant c'est chez mes parents, dans des cartons. Donc je me prépare à faire des choses qui "comptent", c'est-à-dire qui rapportent de l'argent.
Et là, je bloque. J'ai un projet tout bien balisé, tout prévu, j'ai commencé et je suis sur la bonne route. En revanche, mon deuxième projet, c'est pas du tout sur la bonne route. Mais je crois que je veux écrire quelque chose. Et l'entrelacer de dessins et de peinture. Et l'imprimer, et le relier, et le donner à lire et regarder.
C'est pour ça que j'ai encore besoin de scrivener. Y a quelqu'un là-dedans ?
Jeudi 24 novembre 2016 à 23:25
On revenait de Belgique et on s’était paumé, alors on est passé par H., et mon grand-père tout excité (l’excitation des souvenirs d’enfance et de famille et des copains d'Algérie) s’est exclamé on va passer juste devant chez Gisèle on ne peut pas ne pas passer boire un verre. D’accord et j’ai souri. Je ne m’y étais pas vraiment arrêtée - pressée de rentrer mais pourquoi pas - mais maintenant je sais l’image que j’avais formée à l’arrière de la voiture : un café minuscule, et fleuri, et propret, avec un auvent, un carrelage pâlichon et des rideaux blancs un peu gris, comme dans un roman sage. Pittoresque quoi.
« J’y ai passé toute mon enfance tu sais. » Et ta mère aussi d’ailleurs, elle ne voulait faire qu’une chose : s’installer derrière le comptoir et faire semblant de faire la vaisselle - ma mère était une enfant bizarre, j’ai recoupé les faits. Ah non ça ce n’est pas mon grand-père qui me l’a confié dans le rétro, c’est ma mère deux jours plus tard, avec la même excitation des bons souvenirs des choses disparues qu’on regrette. Son enfance perdue quand elle imitait les grandes personnes dans une version édulcorée où tout va bien ; maintenant quand elle imite les grandes personnes parfois on croirait une mauvaise blague.
Alors voilà on se gare, on est passé à l’instant devant chez Gisèle, une maisonnette peinte en vert moche qui se fond dans le paysage de ce petit village du Nord délabré, la maisonnette est un peu délabrée, seule la pancarte Café de Saint Machin la différencie des autres maisons délabrées, mais elle ne s’écarte pas trop de la petite image que je me suis faite sans y penser, il y a quelques fleurs, un toit pointu, pas d’auvent seulement un trottoir minuscule, mais bon. Chez nous aussi c’est délabré dans les coins, parce que le jardinage c’est dur, la peinture c’est chiant, la lasure ça pue. Après tout.
On entre et, merde ; je dois dissimuler le merde, sourire saluer poliment (Marion, dis bonjour à la dame, au monsieur, ils m’ont bien élevée les grands-parents alors le masque est au point, je crois bien que personne n’a rien vu), au milieu des mouches, une armée de mouches, elles s’envolent de partout et se repose tout de suite partout ailleurs. Un grand mec de traviole en ensemble de jogging bleu est accoudé au comptoir, il boit une Pelforth, et la minuscule Gisèle, 85 ans, a l’air pas commode sur sa chaise. Salutations, je serre la main du grand mec à tout hasard, elle est poisseuse, il tangue, il me reluque mais bon si c’est la famille je ne veux pas faire d’impair, en fait c’est un gus quelconque.
Gisèle nous offre deux Stellas, pas trois parce que chez moi la gaufre passe pas et je veux pas rajouter aux remous. J’écoute d’une oreille distraite les vieux discuter de noms inconnus et le gus y mettre son grain de sel, de mon côté je regarde les affiches de mauvais goût accrochées par dizaine aux murs crasseux, je ne me suis jamais sentie plus intellectuelle ni plus snob que maintenant, et inadaptée et ignorante en même temps, putain mais c’est de là que je viens, mais c’est pas à ce monde qu’on m’a préparée, ce monde riquiqui qui tient à une rue quatre tables, et c’est de là que je viens et tout ce que je sens c’est le plastique collant sous mes cuisses, et j’ai envie de sortir vite inspirer de l’air frais, parce que ça je comprends, l’air frais des communes de campagne, et je comprends les fautes de français de ma grand-mère et l’odeur de purin de la ferme de mon grand-oncle, et la messe tous les dimanches, et les corons et la mine, et l’accent et le patois, de là je me sens venir. Je sens le fil des naissances m’y relier, c’est ténu mais c’est là. Ici je ne comprends pas : je ne comprends pas mon grand-père avec sa mère, du temps où les parents de Gisèle servaient, je ne comprends pas ma mère émerveillée, je ne ressens pas la tendresse du passé qui s’invite dans le présent : c’est moche et ça pue. Voilà.
On sort, on rentre à la maison et je ne dis rien.
« J’y ai passé toute mon enfance tu sais. » Et ta mère aussi d’ailleurs, elle ne voulait faire qu’une chose : s’installer derrière le comptoir et faire semblant de faire la vaisselle - ma mère était une enfant bizarre, j’ai recoupé les faits. Ah non ça ce n’est pas mon grand-père qui me l’a confié dans le rétro, c’est ma mère deux jours plus tard, avec la même excitation des bons souvenirs des choses disparues qu’on regrette. Son enfance perdue quand elle imitait les grandes personnes dans une version édulcorée où tout va bien ; maintenant quand elle imite les grandes personnes parfois on croirait une mauvaise blague.
Alors voilà on se gare, on est passé à l’instant devant chez Gisèle, une maisonnette peinte en vert moche qui se fond dans le paysage de ce petit village du Nord délabré, la maisonnette est un peu délabrée, seule la pancarte Café de Saint Machin la différencie des autres maisons délabrées, mais elle ne s’écarte pas trop de la petite image que je me suis faite sans y penser, il y a quelques fleurs, un toit pointu, pas d’auvent seulement un trottoir minuscule, mais bon. Chez nous aussi c’est délabré dans les coins, parce que le jardinage c’est dur, la peinture c’est chiant, la lasure ça pue. Après tout.
On entre et, merde ; je dois dissimuler le merde, sourire saluer poliment (Marion, dis bonjour à la dame, au monsieur, ils m’ont bien élevée les grands-parents alors le masque est au point, je crois bien que personne n’a rien vu), au milieu des mouches, une armée de mouches, elles s’envolent de partout et se repose tout de suite partout ailleurs. Un grand mec de traviole en ensemble de jogging bleu est accoudé au comptoir, il boit une Pelforth, et la minuscule Gisèle, 85 ans, a l’air pas commode sur sa chaise. Salutations, je serre la main du grand mec à tout hasard, elle est poisseuse, il tangue, il me reluque mais bon si c’est la famille je ne veux pas faire d’impair, en fait c’est un gus quelconque.
Gisèle nous offre deux Stellas, pas trois parce que chez moi la gaufre passe pas et je veux pas rajouter aux remous. J’écoute d’une oreille distraite les vieux discuter de noms inconnus et le gus y mettre son grain de sel, de mon côté je regarde les affiches de mauvais goût accrochées par dizaine aux murs crasseux, je ne me suis jamais sentie plus intellectuelle ni plus snob que maintenant, et inadaptée et ignorante en même temps, putain mais c’est de là que je viens, mais c’est pas à ce monde qu’on m’a préparée, ce monde riquiqui qui tient à une rue quatre tables, et c’est de là que je viens et tout ce que je sens c’est le plastique collant sous mes cuisses, et j’ai envie de sortir vite inspirer de l’air frais, parce que ça je comprends, l’air frais des communes de campagne, et je comprends les fautes de français de ma grand-mère et l’odeur de purin de la ferme de mon grand-oncle, et la messe tous les dimanches, et les corons et la mine, et l’accent et le patois, de là je me sens venir. Je sens le fil des naissances m’y relier, c’est ténu mais c’est là. Ici je ne comprends pas : je ne comprends pas mon grand-père avec sa mère, du temps où les parents de Gisèle servaient, je ne comprends pas ma mère émerveillée, je ne ressens pas la tendresse du passé qui s’invite dans le présent : c’est moche et ça pue. Voilà.
On sort, on rentre à la maison et je ne dis rien.
Jeudi 27 août 2015 à 0:28
J’écris depuis le fond d’un trou noir. Rien ne marche et je doute qu’écrire marche. Hier soir dans mon journal j’ai écrit ce drôle d’état où le corps est tendu en avant et tiré vers l’arrière. Cela s’est prolongé jusque dans mon lit, où une énergie néfaste parce que fébrile et stérile, dirigée dans tous les coins vers partout et nulle part, où la perte n’est pas balancée par le gain, le gain d’une image sur le papier ou d’un son nouveau dans ma tête ou de mots agencés tenant en eux une bribe de sens puzzle nouvelle pièce à disposer, où une énergie néfaste m’a tenue éveillée.
Je me regarde en train de souffrir et je me ressens en train de souffrir, à attendre que ça passe. Il y a la Marion qui souffre et il y a celle qui attend. J’attends. J’attends.
Chaque bruit est pire certains me vrillent dans la tête d’autres s’étouffent dans ma gorge mais tous brûlent mon corps - le silence serait mieux. Mais la voix aiguë et pénétrante de ma mère, mais la musique de mon père, mais des éclats et des cris et des chocs. J’attends. Écrire ne marche pas. Lire non plus. Peut-être que la souffrance vient des livres de toute façon. Je ne connais pas le déclic, l’événement source, l’origine le point A d’où jaillit toute la tristesse. Ça n’est même pas tristesse. C’est le néant ou l’entre-deux, où ce qui a été fait ne signifie plus rien, ce qui a été pensé est devenu caduc et ce qui sera fait et pensé n’existe pas et il semble qu’il n’existera plus le fait ni le pensé. C’est du temps immobile et qui fuit sans moi, de l’espace inexistant et oppressant. Ou je repousse par ma simple existence parce que je n’existe plus. Je n’existe plus mais je ne ressens jamais plus que comme ça à écouter le moindre son de l’intérieur. Alors j’attends. Je me sens cailloux. Je me sens bloc de pierre et flux impalpable et glacé. Je me sens rien et je me sens trop.
Je me regarde en train de souffrir et je me ressens en train de souffrir, à attendre que ça passe. Il y a la Marion qui souffre et il y a celle qui attend. J’attends. J’attends.
Chaque bruit est pire certains me vrillent dans la tête d’autres s’étouffent dans ma gorge mais tous brûlent mon corps - le silence serait mieux. Mais la voix aiguë et pénétrante de ma mère, mais la musique de mon père, mais des éclats et des cris et des chocs. J’attends. Écrire ne marche pas. Lire non plus. Peut-être que la souffrance vient des livres de toute façon. Je ne connais pas le déclic, l’événement source, l’origine le point A d’où jaillit toute la tristesse. Ça n’est même pas tristesse. C’est le néant ou l’entre-deux, où ce qui a été fait ne signifie plus rien, ce qui a été pensé est devenu caduc et ce qui sera fait et pensé n’existe pas et il semble qu’il n’existera plus le fait ni le pensé. C’est du temps immobile et qui fuit sans moi, de l’espace inexistant et oppressant. Ou je repousse par ma simple existence parce que je n’existe plus. Je n’existe plus mais je ne ressens jamais plus que comme ça à écouter le moindre son de l’intérieur. Alors j’attends. Je me sens cailloux. Je me sens bloc de pierre et flux impalpable et glacé. Je me sens rien et je me sens trop.
Dimanche 26 juillet 2015 à 17:51
Les yeux, fermés. Respirations douloureuses ; l’air brûle le nez. Je crois que je suis debout - figée perdue et assaillie de sensations. Debout, les talons plantés dans ?
une surface dure. Je dois être nulle part et sans doute partout à la fois. Dix mille questions dans la tête, assourdissantes, jusqu’à former un silence déchirant. Il faudrait se formuler des bribes d’idées, nécessaire à la survie. Les yeux ouverts, peut-être des réponses ? Allez. Ouvre les yeux.
Une plaine. La surface, dure, est sans limite, et plate. Toute plate. Il ne se passe rien, absolument rien, où que je regarde. En faisant un tour sur moi-même c’est comme si je restais immobile. L’air pèse sur mes épaules, et je pèse sur l’herbe sèche. L’herbe sèche pressée entre mes pieds et la terre dure. Terre dure en chute libre avec le ciel.
Puisqu’il faut bien faire quelque chose, j’avance au hasard. Alors : déclic dans l’univers, ce qui est pétrifié se libère, ce qui est douleur s’apaise, ce qui est, devient. Doucement l’air se fait plus léger, au fur et à mesure que j’avance, les herbes dansent, le sol devient plus meuble, et la symphonie n°6 de Beethoven se lève dans mes oreilles. Avec la musique, tout le paysage commence à changer autour de moi. Feu follet, danse, course entre tous les éléments ; et moi au centre. Un clignement d’oeil, un arbre. Une main dans mes cheveux, une rivière. A chaque pas, une nouvelle maison au loin. Le chuchotement des habitants enfle, gonfle, grossit et m’attire vers le village.
C’est le petit village de Bosnie à l’écart de la ville touristique. Paisible mais vivant. Mes parents quelque part lorgnent les pierres d’une muraille célèbre, mais je rechigne et m’installe sur un petit muret posé le long d’une rue sinueuse. Quatre maisons m’entourent, et des maisons sortent des femmes, portant dans leur bras un bric-à-brac de vaisselle, de couvertures, de bibelots. Elles s’interpèlent, elles discutent dans une langue que je ne comprends pas. Les mioches sont pas loin, piaillent et vont et viennent entre les jambes et les théières en ferraille. Du coin de l’oeil les mères me regardent, mais ça ne dure pas : je suis l’étrangère et je ne compte pas. Assise ici, si je ne bouge pas, je ne trouble rien. Tu peux rester ici, elles me disent de leurs dos tournés, mais ne moufte pas. Je ne moufte pas.
Je regarde de tous mes yeux et ça fait longtemps que je ne sais plus qui je suis, que je suis.
une surface dure. Je dois être nulle part et sans doute partout à la fois. Dix mille questions dans la tête, assourdissantes, jusqu’à former un silence déchirant. Il faudrait se formuler des bribes d’idées, nécessaire à la survie. Les yeux ouverts, peut-être des réponses ? Allez. Ouvre les yeux.
Une plaine. La surface, dure, est sans limite, et plate. Toute plate. Il ne se passe rien, absolument rien, où que je regarde. En faisant un tour sur moi-même c’est comme si je restais immobile. L’air pèse sur mes épaules, et je pèse sur l’herbe sèche. L’herbe sèche pressée entre mes pieds et la terre dure. Terre dure en chute libre avec le ciel.
Puisqu’il faut bien faire quelque chose, j’avance au hasard. Alors : déclic dans l’univers, ce qui est pétrifié se libère, ce qui est douleur s’apaise, ce qui est, devient. Doucement l’air se fait plus léger, au fur et à mesure que j’avance, les herbes dansent, le sol devient plus meuble, et la symphonie n°6 de Beethoven se lève dans mes oreilles. Avec la musique, tout le paysage commence à changer autour de moi. Feu follet, danse, course entre tous les éléments ; et moi au centre. Un clignement d’oeil, un arbre. Une main dans mes cheveux, une rivière. A chaque pas, une nouvelle maison au loin. Le chuchotement des habitants enfle, gonfle, grossit et m’attire vers le village.
C’est le petit village de Bosnie à l’écart de la ville touristique. Paisible mais vivant. Mes parents quelque part lorgnent les pierres d’une muraille célèbre, mais je rechigne et m’installe sur un petit muret posé le long d’une rue sinueuse. Quatre maisons m’entourent, et des maisons sortent des femmes, portant dans leur bras un bric-à-brac de vaisselle, de couvertures, de bibelots. Elles s’interpèlent, elles discutent dans une langue que je ne comprends pas. Les mioches sont pas loin, piaillent et vont et viennent entre les jambes et les théières en ferraille. Du coin de l’oeil les mères me regardent, mais ça ne dure pas : je suis l’étrangère et je ne compte pas. Assise ici, si je ne bouge pas, je ne trouble rien. Tu peux rester ici, elles me disent de leurs dos tournés, mais ne moufte pas. Je ne moufte pas.
Je regarde de tous mes yeux et ça fait longtemps que je ne sais plus qui je suis, que je suis.
Dimanche 19 juillet 2015 à 15:17