Mais : rien de plus, c’est triste à pleurer. J’allais parler de la fumée, de surplomber la foule et de retrouver ma mère, mais :
Martin bugue sur son assiette et son expression m’obsède. Vide.
Parfois aussi j’ai le regard vide. (Des fois je le croise dans les vitres, les miroirs ou les lunettes de soleil, et je me reprends vite vite, je réinvestis mon visage, faut pas que les gens voient ce qui se passent dessous, non faut pas.)
Pas pareil. Lui c’était effrayant. Tellement que j’abandonne les effets de style. Faut bien - juste - dire, parfois. J’aurais voulu être à des kilomètres de là, pour pas voir ça. Il fixait quelque chose entre les lentilles et son verre, là où il n’y a vraiment rien que le plastique gris du plateau (même pas une miette j’ai vérifié) et quand on lui parlait il faisait semblant d’acquiescer,
mais pas comme quand t’écoutes pas et que tu veux faire semblant d’écouter, on voit bien à ton expression que tu t’en fous, que t’es à des kilomètres de là, mais bon c’est pas grave ça passe et tu reviens dans ton visage,
non lui je me suis demandée s’il allait jamais revenir. Y avait son corps qui réagissaient vaguement, mais tout le reste était éteint. Il était plus du tout là et il arrivait pas à revenir. Il luttait à mort, il était déjà mort. J’ai crevé de peur j’ai agité mes doigts devant ses yeux (je voyais pas ses yeux mais j’aurais pas voulu plonger dedans pour rien au monde, je devinais le charnier les obus la pulsion primitive la plus dégueulasse) j’ai fait des blagues, j’ai suggéré une paire de claque mais que dalle
et Jules à ma gauche mal à l’aise aussi mais pas flippé comme moi, parce qu’il sait pas comme moi de quoi Martin est fait, Jules il a juste dit « on l’a perdu » et ça a sonné comme un épitaphe
je voulais pas voir ça moi
j’ai fui j’ai posé mon plateau plus vite que la lumière, un dernier regard derrière il était toujours là mais debout maintenant au milieu de la foule, et je suis partie.