Les yeux, fermés. Respirations douloureuses ; l’air brûle le nez. Je crois que je suis debout - figée perdue et assaillie de sensations. Debout, les talons plantés dans ?
une surface dure. Je dois être nulle part et sans doute partout à la fois. Dix mille questions dans la tête, assourdissantes, jusqu’à former un silence déchirant. Il faudrait se formuler des bribes d’idées, nécessaire à la survie. Les yeux ouverts, peut-être des réponses ? Allez. Ouvre les yeux. 
Une plaine. La surface, dure, est sans limite, et plate. Toute plate. Il ne se passe rien, absolument rien, où que je regarde. En faisant un tour sur moi-même c’est comme si je restais immobile. L’air pèse sur mes épaules, et je pèse sur l’herbe sèche. L’herbe sèche pressée entre mes pieds et la terre dure. Terre dure en chute libre avec le ciel.
Puisqu’il faut bien faire quelque chose, j’avance au hasard. Alors : déclic dans l’univers, ce qui est pétrifié se libère, ce qui est douleur s’apaise, ce qui est, devient. Doucement l’air se fait plus léger, au fur et à mesure que j’avance, les herbes dansent, le sol devient plus meuble, et la symphonie n°6 de Beethoven se lève dans mes oreilles. Avec la musique, tout le paysage commence à changer autour de moi. Feu follet, danse, course entre tous les éléments ; et moi au centre. Un clignement d’oeil, un arbre. Une main dans mes cheveux, une rivière. A chaque pas, une nouvelle maison au loin. Le chuchotement des habitants enfle, gonfle, grossit et m’attire vers le village.
C’est le petit village de Bosnie à l’écart de la ville touristique. Paisible mais vivant. Mes parents quelque part lorgnent les pierres d’une muraille célèbre, mais je rechigne et m’installe sur un petit muret posé le long d’une rue sinueuse. Quatre maisons m’entourent, et des maisons sortent des femmes, portant dans leur bras un bric-à-brac de vaisselle, de couvertures, de bibelots. Elles s’interpèlent, elles discutent dans une langue que je ne comprends pas. Les mioches sont pas loin, piaillent et vont et viennent entre les jambes et les théières en ferraille. Du coin de l’oeil les mères me regardent, mais ça ne dure pas : je suis l’étrangère et je ne compte pas. Assise ici, si je ne bouge pas, je ne trouble rien. Tu peux rester ici, elles me disent de leurs dos tournés, mais ne moufte pas. Je ne moufte pas. 
Je regarde de tous mes yeux et ça fait longtemps que je ne sais plus qui je suis, que je suis.

Dimanche 19 juillet 2015 à 15:17

Aucun commentaire n'a encore été ajouté !
 

Ajouter un commentaire

Note : scrivener n'accepte que les commentaires des personnes possédant un compte sur Cowblog : vous devez obligatoirement être identifié pour poster un commentaire.









Commentaire :








Votre adresse IP sera enregistrée pour des raisons de sécurité.
 

La discussion continue ailleurs...

Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://scrivener.cowblog.fr/trackback/3274104

 

<< Page précédente | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | Page suivante >>

Créer un podcast