Chacun est retranché dans des immeubles douillets ; dans les appartements, on vit seul. 10h. Tous les réveils sonnent. Vite, un petit déjeuner protéiné (récupéré sur le palier : le livreur invisible l’y a déjà déposé), une douche, un brossage de dent éclair. Et on s’installe dans le bureau. Des écrans, un siège confortable. Pour les 12 heures à venir, l’habitant s’immerge dans la réalité virtuelle. Il n’a besoin que d’un pseudo, d’un avatar, et à lui s’offre un programme varié, à savourer selon son humeur. Des comédies romantiques, des polars, des thrillers, des séries sans fin où l’on peut jouer le personnage que l’on désire. A quoi bon sortir ?
Pour le citoyen lambda, c’est le bonheur. Plus de risques à prendre, plus d’échecs ni de ruptures, sauf si on le désire (il faut bien vivre un peu). Et quand la lassitude pointe, d’un geste du doigt on change de programme.
Des dirigeants, des présidents, des politiques, il n’y en a plus. La soif de pouvoir est satisfaite, quoi qu’il arrive, par son avatar.
Chacun a donné cinq ans de sa vie au bon fonctionnement de ce monde bien huilé. Les ingénieurs updatent les systèmes d’exploitation, les créatifs inventent de nouveaux scénarios, les ouvriers entretiennent les installations et les commodités, les mères porteuses procréent, et tous les autres effectuent les menues tâches nécessaires permettant au reste de la population de profiter de cette vie de possibilités illimitées et virtuelles.
Cinq années de dur labeur, et c’est la libération : à nous les écrans.
« Et il y aura des jours où tu nous haïras, parce que nous t'aurons éveillé, parce que nous t'aurons empêché de continuer à vivre comme une machine. Les machines se sentent bien dans l'univers ; les individus lui sont étrangers. »
Un bonheur insoutenable, Ira Levin