Nous sommes quarante et c'est la cage des fauves. Ça pue et ça se secoue, des doigts partout, le sol qui tremble sous quatre-vingt semelles de godasses défoncées. Parce que de la poussière de charbon partout, parce que la sueur goutte à goutte sur le cuir fatigué. Ça pue et ça étire la mâchoire, quarante chiens fous à qui l'on a dit : préparez-vous à crier. Le prof, chef d'orchestre/dompteur, dans son accent anglais et sa voix profonde gueule, gueule putain gueule ! Un ! Deux ! Trois ! Et tous nous crions, on nous dit gueule alors on gueule,

contents d'avoir le droit,

mais tous en harmonie,

mais tous factices.

Je gueule parfois ; il y a des raisons de gueuler. Mais pas quand on me l'ordonne, pas dans une case horaire (le lundi de neuf à douze, de treize à seize, pendant le cours de D.), moi je veux vomir mon angoisse et ma colère, c'est vrai, mais pas sous autant de paires d'yeux, tout contents d'avoir enfin le droit. On beugle comme ça à trois reprises, mais ce n'est pas tout, ensuite il faut s'égosiller le fusain à la main, les genoux dans le charbon, et dessiner, il veut de l'énergie brute, il veut des tripes. Je le fais parce que je veux agir, parce que j'en ai assez de penser, parce que je veux voir un jet de traits et de ténèbres sortir de mon ventre, parce que je lui fais confiance et que je me dis : il y aura quelque chose au bout du cri.

Mais il n'y a rien, seulement le vacarme des vagissements et des coups et des frottements, et moi face à moi-même, et moi qui ai peur et moi qui raye qui saccage qui recouvre de frustration une foutue page blanche. Quand sous les traits apparaît le visage de mon frère et quand dans mes yeux c'est les larmes et dans mon ventre la haine, je n'ai plus peur de la feuille j'ai peur de moi, et des images qui m'assaillent, du sang des passages à tabac, je m'arrête et je sors.

Dans le couloir l'écho des transes étrangères. Je me lave les mains mais ça ne pars pas.

Lundi 14 octobre 2013 à 16:58

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