Je ne sais pas pourquoi ces images me reviennent maintenant, avec Jules. Peut-être simplement est-il temps de m’y atteler ? Alors que je racontais l’histoire, dans le lit (beaucoup de choses se passent dans mon lit, depuis quelques semaines), je ne pleurais pas tout à fait mais j’étais parcourue de spasmes, alors qu’il m’écoutait avec une attention que je ne voyais pas (le noir complet) mais que je devinais, cette unique image m’emplissait la tête et les yeux, effaçait le bleu nuit et le rai de lumière sous le store, c’est encore très clair, j’avais oublié cette image mais depuis elle ne me quitte plus. Le grand escalier de bois (magnifique, cet escalier, patiné, craquant, poussiéreux), les trois étages déserts (peut-être seulement deux ? j’ai oublié ce qu’il y avait entre ce rez-de-chaussée où la course commençait et ce dernier étage où l’on m’a baissé le pantalon, j’ai tout oublié sauf les marches, les marches, les marches et la poursuite)

Maintenant j’y repense sans les spasme, avec un certain détachement, et tout de suite après je pense à Jules. Jules qui n’a rien du tout du tout à voir avec ces petits garçons pervers pour qui je n’étais qu’un jeu un peu pathétique, celle qu’on course et qu’on agrippe aux hanches et aux fesses, lui c’est vraiment différent, enfin tout ce que j’en dis c’est ça, il est différent, c’est pas une lettre d’amour, je réfléchis c’est tout. Je m’égare un peu pour ne pas penser à ces gringalets imbéciles, on avait tous treize ans et tout ce que j’entendais autour de moi c’était qu’à treize ans il n’y a pas grand chose de vrai, on ne peut pas faire de mal à treize ans, oh, non, alors dans ma tête c’était pareil : t’en garderas pas de trace, un jeu innocent, ils t’ont juste un peu touchée, ça vaaaa, et puis tu l’as cherché, à rire quand ils te couraient après. Mais si rien de mal ne s’est passé dans cette foutue cage d’escalier et ce troisième étage, pourquoi ai-je aujourd’hui encore cette angoisse sourde dans les escaliers, quand j’entends dans mon dos des pas trop proches ? Je dis toujours Passe devant, et puis une blague (que je mate ton cul). J’avais jamais raconté l’histoire où que ce soit, enfin je crois, peut-être mon journal mais non, la honte de m’être laissée faire il me semble, pourtant cette nuit-là dans les bras de Jules j’ai donné les détails, j’ai même parlé de ce garçon plus âgé qui regardait le cul posé sur sa chaise, et qui n’a rien fait, et puis cet autre ami (c’était mon ami et je l’admirais) qui m'immobilisais les bras,

mais c’est rien, Marion, quelques mains entre tes jambes, et ce pantalon tiré jusqu’au genoux, c’est rien, 

mais toujours est-il qu’un jour j’expliquerai pourquoi cet événement stupide m’a fait tomber plus bas que terre.

Mardi 4 février 2014 à 22:57

J’ai encore rigolé comme une folle dans son lit (ça remonte à il y a quelques jours déjà, mais d’un coup je m’y suis retrouvée, dans son lit à rigoler comme une folle, parce que du coin du nez j’ai senti son odeur quelque part chez moi), oui je sais ça ne se fait pas de parler de son bonheur d’être amoureuse ; « tout le monde s’en fout Marion », en général j’évite, sauf à Lily, et quand Eric m’a demandé pour qui j’avais tant cuisiné hier j’ai enfilé mon air-de-rien, j’ai dit « bah Jules hein », et puis une connerie, quand je suis amoureuse je dis plein de bêtises et je suis cynique et je me moque, pour contrecarrer le déferlement de grosses vagues de niaiseries en public. Du coup tout le monde le sait, c’est pas discret.

Enfin je riais et je pouvais plus m’arrêter, et je me demandais si sa voisine m’entendait (les murs sont fins), et je me demandais si je la réveillais, mais rien à faire : toute nue ce rire m’a fait du bien, du bien, du bien ! La prochaine fois que je rigole je me déshabille, c’est décidé, la peau libre et les trilles s’envoleront, le ventre libre aussi et le rire résonnera, oui parce qu’engoncée, élastiques et ceintures, soutien-gorges qu’on oublie mais pourtant ils nous serrent, engoncés comment voulez-vous qu’on se marre ? Et on fait la gueule derrière nos écharpes et on cache nos dents un peu jaunies, mais rire dans le noir et tout nus, rire un peu à deux sans se voir, pour une phrase stupide et qu’on oublie au milieu du fou-rire (« pourquoi on rigole déjà ? » et on sait bien qu’on s’en fiche maintenant et c’est délicieux), c’est dé-li-cieux.

Dimanche 26 janvier 2014 à 17:14

 « J’ai essayé, un peu, d’avoir peur de la mort, parce qu’on me disait qu’il fallait craindre ; pourtant jamais l’angoisse ; je suis là, je ne suis plus là », elle prend son châle comme paravent, « je suis là, je ne suis plus là. Je n’ai pas peur de la disparition, si elle n’est pas plus douloureuse que cela », le geste, encore « Sauf que la fin ce sera me cacher de moi-même, et je me cacherai tant et si bien que je ne saurai jamais que je me cache. Je ne saurai plus rien du tout. Alors, oui, le néant, ça, ça me fait peur, mais uniquement si je m’imagine submergée par le néant. Être du néant, c’est pas si terrible. Le rien ça doit être reposant. »

Samedi 25 janvier 2014 à 23:11

 

Et quand on dit Jeanne, tu es ce coucher de soleil

elle ne ne voit que l’approche de la nuit qui creuse ses rides.

Pourtant, lui derrière sa baie vitrée

se trouble du vent rouge dans ses cheveux blancs.

Samedi 11 janvier 2014 à 13:57

 Il fait froid, ça glace de l’intérieur mais ce n’est pas désagréable, je devrais être dehors mais je suis tombée sur une phrase comme ça en passant (Cesare Pavese) et je me suis assise à mon bureau. Andy Warhol habillé en draq-queen me regarde, hier soir on a découvert que son regard nous suivait dans toute la pièce, un regard perçant et inquisiteur de papier glacé. Les reproductions du Monde 2 quand même c’est pas si mal.

Je devrais être dehors à chasser la porcelaine de limoge et le vernis à ongle, mais slalomer entre les touristes dans les odeurs de vin chaud merci bien. Plus j’attends, plus il y aura foule pourtant. Il n’est que 11 heures mais en ce premier jour de vacances, j’ai été réveillée par un bateau dans ma chambre qui jouait de la trompette (le vibreur d’un téléphone sur le parquet), la faute à Jules et son train de 9h15. 

Ouais, Jules squattait chez moi, hier il m’a dit « si je vois tes amis je me présente comment, le copain de Marion ? » J’ai pas répondu (ou alors une bêtise : « mon chevalier servant, mon fidèle destrier ! ») va savoir pourquoi, pourtant j’imagine le courage qu’il lui a fallu rassembler pour dire cette phrase sous le couvert de la nonchalance (« tiens, au fait ... »), voyez-vous mon beau blond gentleman rougit quand il parle de moi, on me l’a raconté,

eh bien moi j’aime ça.

Cette nuit on a rigolé au lit, on faisait l’amour comme des patates (sérieusement, c’était mauvais), j’arrivais plus à m’arrêter, faudra que je lui dise quand même qu’au lit je ne ris qu’avec ceux que j’aime. 

J’aurais peut-être dû lui dire aussi qu’il avait pas le droit de fricoter avec d’autres pendant ses 6 jours de perm’, mais je veux pas rompre l’équilibre délicieux qui s’est installé entre nous, je veux pas tout déglinguer à coups de grands mots. Je connais les vertus du changement, de l’évolution et des grands chamboulements, du plissement alpin et du passage à la bipèdie, mais je veux juste encore un peu profiter de ce début. J’aime les débuts. 

Samedi 21 décembre 2013 à 11:29

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